Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/137

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Sainte-Hermières avec une froideur qui m’annonçait l’indifférence du commerce que nous aurions désormais ensemble ; et aussitôt elle se leva pour passer dans le jardin ; les autres la suivirent, j’en fis autant ; mais aux manières qu’on eut avec moi dès cet instant, je ne reconnus plus personne de cette société. C’était comme si j’avais vécu avec d’autres gens ; ce n’était plus eux, ce n’était plus moi.

De cette dignité où je m’étais vue parmi eux, il n’en fut plus question ; de ce respectueux étonnement pour mes vertus, de ces dévotes exclamations sur les grâces dont Dieu favorisait cette jeune et vénérable prédestinée, il n’en resta pas vestige ; et je ne fus plus qu’une petite personne fort ordinaire, qui avait d’abord promis quelque chose, mais à qui on s’était trompé, et qui n’avait pour tout mérite que l’avantage profane d’être assez jolie ; car je n’étais plus si belle depuis que je refusais d’être religieuse ; ce n’était plus si grand dommage que je ne le fusse pas, à ne regarder que l’édification que j’aurais donné au monde.

En un mot je déchus de toutes façons, et pour me punir de l’importance dont j’avais joui jusqu’alors, on porta si loin l’indifférence et l’inattention pour moi, quand j’étais présente, qu’à peine paraissait-on savoir que j’étais là.

Aussi mes visites au château devinrent-elles si rares qu’à la fin je n’en rendais presque plus. Dans l’espace d’un mois, je ne voyais que deux ou trois fois Mme de Sainte-Hermières, qui ne s’en plaignait