Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/15

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moins que vous ne l’exigiez ; j’oublierai même que je l’ai vu, ou s’il arrive que je le revoie, je ne le reconnaîtrai pas ; car de lui faire l’honneur de le fuir, il n’en vaut pas la peine. Quant à vous, je ne vous crois ni ambitieuse ni intéressée ; et si vous n’êtes que tendre et raisonnable, en vérité, vous ne perdez rien. Le cœur de Valville n’est pas ce qu’il vous faut, il n’est point fait pour payer le vôtre, et ce n’est pas sur lui que doit tomber votre tendresse ; c’est comme si vous n’aviez point eu d’amant.

Ce n’est point en avoir un que d’avoir celui de tout le monde. Valville était hier le vôtre ; il est aujourd’hui le mien, à ce qu’il dit ; il sera demain celui d’une autre, et ne sera jamais celui de personne. Laissez-le donc à tout le monde, à qui il appartient ; et réservez, comme moi, votre cœur pour quelqu’un qui pourra vous donner le sien, et ne le donner jamais qu’à vous.

Après ces mots elle vint m’embrasser, sans que je fisse aucun mouvement. Je la regardai, voilà tout. Je jetai des yeux égarés sur elle ; elle prit une de mes mains qu’elle pressa dans les siennes. Je la laissai faire, et n’eus la force ni de lui répondre ni de