Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/433

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quarantaine d’années, et je me trompais, la cinquantaine était complète.

Cette écharpe de gros taffetas sans façon, une cornette unie, un habit d’une couleur à l’avenant, et je ne sais quelle réforme dévote répandue sur toute cette figure, le tout soutenu d’une propreté tirée à quatre épingles, me firent juger que c’était une femme à directeur ; car elles ont presque partout la même façon de se mettre, ces sortes de femmes-là ; c’est là leur uniforme, et il ne m’avait jamais plu.

Je ne sais à qui il faut s’en prendre, si c’est à la personne ou à l’habit ; mais il me semble que ces figures-là ont une austérité critique qui en veut à tout le monde.

Cependant comme cette personne-ci était fraîche et ragoûtante, et qu’elle avait une mine ronde, mine que j’ai toujours aimée, je m’inquiétai pour elle ; et lui aidant à se soutenir : Madame, lui dis-je, je ne vous laisserai point là, si vous le voulez bien, et je vous offre mon bras pour vous reconduire chez vous ; votre étourdissement peut revenir, et vous aurez besoin d’aide. Où demeurez-vous ?

Dans la rue de la Monnaie, mon enfant, me dit-elle, et je ne refuse point votre bras puisque vous me l’offrez de si bon cœur ; vous me paraissez un honnête garçon.

Vous ne vous trompez pas, repris-je en nous mettant en marche ; il n’y a que trois ou quatre mois que je suis sorti de mon village, et je n’ai pas encore eu le temps d’empirer et de devenir méchant.