Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/446

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j’aurai bientôt fait ; il ne faut point de mulets pour amener mon bagage. Et cela dit, je me rendis à mon auberge.

Je fis pourtant en chemin quelques réflexions pour savoir si je devais entrer dans cette maison : Mais, me disais-je, je ne cours aucun risque ; il n’y aura qu’à déloger si je ne suis pas content ; en attendant, le déjeuner m’est de bon augure, il me semble que la dévotion de ces gens-ci ne compte pas ses morceaux, et n’est pas entêtée d’abstinence. D’ailleurs toute la maison me fait bonne mine ; on n’y hait pas les gros garçons de mon âge, je suis dans la faveur de la cuisinière ; voilà déjà mes quatre repas de sûrs, et le cœur me dit que tout ira bien : courage !

Je me trouvai à la porte de mon auberge en raisonnant ainsi ; je n’y devais rien que le bonsoir à mon hôtesse, et puis je n’avais qu’à décamper avec mon paquet.

Je fus de retour à la maison au moment qu’on allait se mettre à table. Malepeste, le succulent petit dîner ! Voilà ce qu’on appelle du potage, sans parler d’un petit plat de rôt d’une finesse, d’une cuisson si parfaite... Il fallait avoir l’âme bien à l’épreuve du plaisir que peuvent donner les bons morceaux, pour ne pas donner dans le péché de friandise en mangeant de ce rôt-là, et puis de ce ragoût, car il y en avait un d’une délicatesse d’assaisonnement que je n’ai jamais rencontré nulle part. Si l’on mangeait au ciel, je ne voudrais pas y être mieux servi ; Mahomet, de ce repas-là, en aurait pu faire une des joies de son paradis.