Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/31

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de sarcasmes. Lisez le portrait de Cléanthis, par exemple ; Cléanthis s’évanouit rien qu’à voir une rose, elle s’abstient de se parer pour mettre un habit négligé qui lui marque tendrement la taille : « C’est encore une finesse que cet habit-là, on dirait qu’une femme qui le met ne se soucie pas de paraître ; mais à d’autres : on s’y ramasse dans un corset appétissant, on y montre sa bonne façon naturelle, on y dit aux gens : Regardez mes grâces, elles sont à moi, celles-là, et, d’un autre côté, on veut leur dire aussi : Voyez comme je m’habille, il n’y a point de coquetterie dans mon fait ! » Sans le vouloir j’ai bien peur que Marivaux, en traçant le portrait de la coquette Cléanthis, n’ait tracé son propre portrait.

Toujours est-il que la main qui a tracé à l’infini toutes ces poétiques, légères et lestes images, était la main d’un habile homme. On ne se lasse pas de passer ainsi en revue, dans le petit drame où ils jouent leurs rôles, tant de personnages vivants. La Bruyère n’a pas fait plus de portraits que Marivaux lui-même ; avec cette différence que la Bruyère a fait le portrait des hommes de tous les temps, pendant que Marivaux se contentait de reproduire les images passagères qu’il avait sous les yeux. L’un dessinait à grands traits ces tableaux d’histoire qui portent le souvenir du peintre et de ses modèles jusqu’aux âges les plus reculés ; l’autre, au contraire, douce et facile nature, se contentait d’un frais pastel qu’un souffle emporte, et qui s’évanouit aux premiers rayons du soleil.

Cet homme de tant d’esprit, si plein de réserve sur lui-même, dont toute la peur était de n’être pas mis à sa place, cet ami de Fontenelle et de Lamothe, devait naturellement vivre seul, tout occupé de ses méditations,