Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/105

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Lélio.

Cette folle, qui me vient dire qu’elle croit que sa maîtresse s’humanise, elle qui me fuit, et qui me fuit moi présent ! Oh ! parbleu, madame la comtesse, vos manières sont tout à fait de mon goût. Je les trouve pourtant un peu sauvages, car enfin, l’on n’écrit pas à un homme de qui l’on n’a pas à se plaindre : « Je ne veux plus vous voir, vous me fatiguez, vous m’êtes insupportable » ; et voilà le sens du billet, tout mitigé qu’il est. Oh ! la vérité est que je ne croyais pas être si haïssable. Qu’en dis-tu, Arlequin ?

Arlequin.

Eh ! monsieur, chacun a son goût.

Lélio.

Parbleu ! je suis content de la réponse que j’ai faite au billet et de l’air dont je l’ai reçu, mais très content.

Arlequin.

Cela ne vaut pas la peine d’être si content, à moins qu’on ne soit fâché. Tenez-vous ferme, mon cher maître ; car si vous tombez, me voilà à bas.

Lélio.

Moi, tomber ! Je pars dès demain pour Paris ; voilà comme je tombe.

Arlequin.

Ce voyage-là pourrait bien être une culbute à gauche, au lieu d’une culbute à droite.

Lélio.

Point du tout ; cette femme croirait peut-être que je serais sensible à son amour, et je veux la laisser là pour lui prouver que non.