Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/108

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fantaisie magique qui prend à une femme ; et qui plus est, ce n’est pas sa faute à elle. La nature a mis du poison pour nous dans toutes ses idées. Son esprit ne peut se retourner qu’à notre dommage ; sa vocation est de nous mettre en démence. Elle fait sa charge involontairement. Ah ! que je suis heureux, dans cette occasion, d’être à l’abri de tous ces périls ! Le voilà, ce billet insultant, malhonnête ; mais cette réflexion-là me met de mauvaise humeur. Les mauvais procédés m’ont toujours déplu, et le vôtre est un des plus déplaisants, madame la comtesse ; je suis bien fâché de ne l’avoir pas rendu à Colombine.

Arlequin, entendant nommer sa maîtresse.

Monsieur, ne me parlez plus d’elle ; car, voyez-vous, j’ai dans mon esprit qu’elle est amoureuse, et j’enrage.

Lélio.

Amoureuse ! Elle amoureuse ?

Arlequin.

Oui, je la voyais tantôt qui badinait, qui ne savait que dire ; elle tournait autour du pot ; je crois même qu’elle a tapé du pied ; tout cela est signe d’amour, tout cela mène un homme à mal.

Lélio.

Si je m’imaginais que ce que tu dis fût vrai, nous partirions tout à l’heure pour Constantinople.

Arlequin.

Eh ! mon maître, ce n’est pas la peine que vous fassiez ce chemin-là pour moi ; je ne mérite pas cela, et il vaut mieux que j’aime que de vous coûter tant de dépense.

Lélio.

Plus j’y rêve, et plus je vois qu’il faut que tu sois