Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/132

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s’il m’avait dit : « Je serais en danger de vous aimer, si je croyais que vous pussiez m’aimer vous-même. » Allez, allez, vous ne savez ce que vous dites ; c’est de l’amour que ce sentiment-là.

Colombine.

Cela est plaisant ! Je donnerais à ces paroles-là, moi, tout une autre interprétation, tant je les trouve équivoques.

La Comtesse.

Oh ! je vous prie, gardez votre belle interprétation, je n’en suis point curieuse ; je vois d’ici qu’elle ne vaut rien.

Colombine.

Je la crois pourtant aussi naturelle que la vôtre, madame.

La Comtesse.

Pour la rareté du fait, voyons donc.

Colombine.

Vous savez que M. Lélio fuit les femmes ; cela posé, examinons ce qu’il vous dit : Vous ne m’aimez pas, madame ; j’en suis convaincu, et je vous avouerai que cette conviction m’est absolument nécessaire ; c’est-à-dire : « Pour rester où vous êtes, j’ai besoin d’être certain que vous ne m’aimez pas ; sans quoi je décamperais. » C’est une pensée désobligeante, entortillée dans un tour honnête ; cela me paraît assez net.

La Comtesse.

Cette fille-là n’a jamais eu d’esprit que contre moi ; mais, Colombine, l’air affectueux et tendre qu’il a joint à cela ?…

Colombine.

Cet air-là, madame, peut ne signifier encore qu’un