Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/155

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été le chercher ; pourquoi m’a-t-il vue ? S’il est jeune et aimable, tant mieux pour lui ; j’en suis bien aise. Qu’il garde tout cela pour ses pareils, et qu’il me laisse mon pauvre Arlequin, qui n’est pas plus gros monsieur que je suis grosse dame, pas plus riche que moi, pas plus glorieux que moi, pas mieux logé ; qui m’aime sans façon, que j’aime de même, et que je mourrai de chagrin, de ne pas voir. Hélas ! le pauvre enfant, qu’en aura-t-on fait ? Qu’est-il devenu ? Il se désespère quelque part, j’en suis sûre ; car il a le cœur si bon ! Peut-être aussi qu’on le maltraite… Je suis outrée. Tenez, voulez-vous me faire un plaisir ? Ôtez-vous de là, je ne puis vous souffrir ; laissez-moi m’affliger en repos.

Trivelin.

Le compliment est court, mais il est net. Tranquillisez-vous pourtant, madame.

Silvia.

Sortez sans répondre ; cela vaudra mieux.

Trivelin.

Encore une fois, calmez-vous. Vous voulez Arlequin, il viendra incessamment ; on est allé le chercher.

Silvia, avec un soupir.

Je le verrai donc ?

Trivelin.

Et vous lui parlerez aussi.

Silvia.

Je vais l’attendre ; mais si vous me trompez, je ne veux plus ni voir, ni entendre personne.

(Pendant qu’elle sort, le prince et Flaminia entrent d’un autre côté et la regardent sortir.)