Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/221

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l’air fin et distingué ; il a l’air pesant, les manières grossières ; cela ne cadre point et je ne comprends pas comment vous l’avez aimé ; je vous dirai même que cela vous fait tort.

Silvia.

Mettez-vous à ma place. C’était le garçon le plus passable de nos cantons ; il demeurait dans mon village ; il était mon voisin ; il est assez facétieux, je suis de bonne humeur ; il me faisait quelquefois rire ; il me suivait partout ; il m’aimait ; j’avais coutume de le voir, et de coutume en coutume je l’ai aimé aussi, faute de mieux ; mais j’ai toujours bien vu qu’il était enclin au vin et à la gourmandise.

Flaminia.

Voilà de jolies vertus, surtout dans l’amant de l’aimable et tendre Silvia ! Mais à quoi vous déterminez-vous donc ?

Silvia.

Je l’ignore ; il me passe tant de oui et de non par la tête, que je ne sais auquel entendre. D’un côté, Arlequin est un petit négligent qui ne songe ici qu’à manger ; d’un autre côté, si l’on me renvoie, ces glorieuses de femmes feront accroire partout qu’on m’aura dit : « Va-t’en, tu n’es pas assez jolie. » D’un autre côté, ce monsieur que j’ai retrouvé ici…

Flaminia.

Quoi ?

Silvia.

Je vous le dis en secret ; je ne sais ce qu’il m’a fait depuis que je l’ai revu ; mais il m’a toujours paru si doux, il m’a dit des choses si tendres, il m’a conté son amour d’un air si poli, si humble, que j’en ai une véritable pitié, et cette pitié-là m’empêche encore d’être maîtresse de moi.