Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/310

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exemple, mon amour-propre ne lui en veut aucun mal ; il n’y a là-dedans, comme je vous l’ai déjà dit, que le ton, que la manière que je condamne : car, quand il m’aimerait, cela lui serait inutile ; mais enfin il m’a refusée, cela est constant, il peut se vanter de cela, il le fera peut-être ; qu’en arrive-t-il ? Cela jette un air de rebut sur une femme, les égards et l’attention qu’on a pour elle en diminuent, cela glace tous les esprits pour elle. Je ne parle point des cœurs, car je n’en ai que faire : mais on a besoin de considération dans la vie, elle dépend de l’opinion qu’on prend de vous ; c’est l’opinion qui nous donne tout, qui nous ôte tout, au point, qu’après tout ce qui m’arrive, si je voulais me remarier, je le suppose, à peine m’estimerait-on quelque chose, il ne serait plus flatteur de m’aimer ; le comte, s’il savait ce qui s’est passé, oui, le comte, je suis persuadée qu’il ne voudrait plus de moi.

Lubin, derrière.

Je ne serais pas si dégoûté.

Lisette.

Et moi, madame, je dis que le chevalier est un hypocrite ; car, si son refus est si sérieux, pourquoi n’a-t-il pas voulu servir monsieur le comte comme je l’en priais ? Pourquoi m’a-t-il refusée durement, d’un air inquiet et piqué ?

La Marquise.

Qu’est-ce que c’est que d’un air piqué ? Quoi ? Que voulez-vous dire ? Est-ce qu’il était jaloux ? En voici d’une autre espèce.

Lisette.

Oui, madame, je l’ai cru jaloux, voilà ce que c’est ; il en avait toute la mine. Monsieur s’informe comment le Comte est auprès de vous,