Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/498

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Lisette.

Mais, mais… de la manière dont vous tournez cette affaire-là, je crois, de bonne foi, que vous avez raison. Oui, je comprends que l’infidélité est quelquefois de devoir ; je ne m’en serais jamais doutée.

La Comtesse.

Tu vois pourtant que cela est clair.

Lisette.

Si clair, que je m’examine à présent pour savoir si je ne serai pas moi-même obligée de faire une infidélité.

La Comtesse.

Dorante est en vérité plaisant ! N’oserais-je, à cause qu’il m’aime, distraire un regard de mes yeux ? N’appartiendra-t-il qu’à lui de me trouver jeune et aimable ? Faut-il que j’aie cent ans pour tous les autres, que j’enterre tout ce que je vaux, que je me dévoue à la plus triste stérilité de plaisir qu’il soit possible d’imaginer ?

Lisette.

C’est apparemment ce qu’il prétend.

La Comtesse.

Sans doute ; avec ces messieurs-là, voilà comment il faudrait vivre. Si vous les en croyez, il n’y a plus pour vous qu’un seul homme, qui doit composer tout votre univers ; tous les autres sont rayés, ce sont autant de morts pour vous. Peut-être que votre amour-propre n’y trouve point son compte, et qu’il les regrette quelquefois. Eh ! qu’il pâtisse ; la sotte fidélité lui a fait sa part. Elle lui laisse un captif pour sa gloire ; qu’il s’en amuse comme il pourra, et qu’il prenne patience. Quel abus, Lisette, quel abus ! Va, va, parle à