Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/535

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peu l’air d’une infidélité, au moins. Ces gens-là ont pu se flatter que nous les aimions ; il faut les ménager. Je n’aime à faire de mal à personne : ni vous non plus, apparemment ? Vous n’avez pas le cœur dur, je pense ? Ce sont vos amis comme les miens ; accoutumons-les du moins à se douter de notre mariage.

Le Chevalier.

Mais, pour les accoutumer, il faut qué jé vive ; et jé vous défie dé mé garder vivant ; vous né mé conduirez pas au terme. Tâchons dé les accoutumer à moins dé frais ; la modé dé mourir pour la consolation dé ses amis n’est pas venue, et dé plus, qué nous importe qué ces deux affligés nous disent : « Partez » ? Savez-vous qu’on dit qu’ils s’arrangent ?

La Comtesse.

S’arranger ! De quel arrangement parlez-vous ?

Le Chevalier.

J’entends que leurs cœurs s’accommodent.

La Comtesse.

Vous avez quelquefois des tournures si gasconnes, que je n’y comprends rien. Voulez-vous dire qu’ils s’aiment ? Exprimez-vous comme un autre.

Le Chevalier, baissant le ton.

On né parle pas tout à fait d’amour, mais d’uné pétite douceur à sé voir.

La Comtesse.

D’une douceur à se voir ! Quelle chimère ! Où a-t-on pris cette idée-là ? Eh bien ! monsieur, si vous me prouvez que ces gens-là s’aiment, qu’ils sentent de la douceur à se voir, si vous me le prouvez, je vous épouse demain, je vous épouse ce soir. Voyez l’intérêt que je vous donne à la preuve.