Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/573

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Le Chevalier.

Nous avons changé votre économie. Jé tombé dans lé lot dé madame la marquise, et madame la comtessé tombé dans lé tien.

La Marquise.

Oh ! nous resterons comme nous sommes.

La Comtesse.

Laissez-moi parler, madame ; je demande audience. Écoutez-moi. Il est temps de vous désabuser, chevalier. Vous avez cru que je vous aimais ; l’accueil que je vous ai fait a pu même vous le persuader ; mais cet accueil vous trompait, il n’en était rien : je n’ai jamais cessé d’aimer Dorante, et ne vous ai souffert que pour éprouver son cœur. Il vous en a coûté des sentiments pour moi ; vous m’aimez, et j’en suis fâchée ; mais votre amour servait à mes desseins. Vous avez à vous plaindre de lui, marquise ; j’en conviens. Son cœur s’est un peu distrait de la tendresse qu’il vous devait ; mais il faut tout dire. La faute qu’il a faite est excusable, et je n’ai point à tirer vanité de vous l’avoir dérobé pour quelque temps. Ce n’est point à mes charmes qu’il a cédé, c’est à mon adresse. Il ne me trouvait pas plus aimable que vous ; mais il m’a cru plus prévenue, et c’est un grand appât. Quant à vous, Dorante, vous m’avez assez mal payée d’une épreuve aussi tendre. La délicatesse de sentiments qui m’a persuadée de la tenter, n’a pas lieu d’être trop satisfaite ; mais peut-être le parti que vous avez pris vient-il plus de ressentiment que de médiocrité d’amour. J’ai poussé les choses un peu loin ; vous avez pu y être trompé ; je ne veux point vous juger à la rigueur ; je ferme les yeux sur votre conduite, et je vous pardonne.