Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/83

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La Comtesse.

C’est beaucoup, au contraire. Cesser d’avoir de l’amour pour un homme c’est, à mon compte, connaître sa faute, s’en repentir, en avoir honte, sentir la misère de l’idole qu’on adorait, et rentrer dans le respect qu’une femme se doit à elle-même. J’ai bien vu que nous ne nous entendions point. Si votre maîtresse n’avait fait que renoncer à son attachement ridicule, eh ! il n’y aurait rien de plus louable ; mais ne faire que changer d’objet, ne guérir d’une folie que par une extravagance, eh fi ! je suis de votre sentiment ; cette femme-là est tout à fait méprisable. Amant pour amant, il valait autant que vous déshonorassiez sa raison qu’un autre.

Lélio.

Je vous avoue que je ne m’attendais pas à cette chute-là.

Colombine, riant.

Ah ! ah ! ah ! il faudrait bien des conversations comme celle-là pour en faire une raisonnable. Courage, monsieur ! vous voilà tout déferré ! Décochez-lui-moi quelque trait bien hétéroclite, qui sente bien l’original. Eh ! vous avez fait des merveilles d’abord.

Lélio.

C’est assurément mettre les hommes bien bas, que de les juger indignes de la tendresse d’une femme ; l’idée est neuve.

Colombine.

Elle ne fera pas fortune chez vous.

Lélio.

On voit bien que vous êtes fâchée, madame.