Page:Marivaux - Théâtre, vol. II.djvu/46

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où j’en suis. Voilà tout le produit de votre zèle, voilà comme on gâte tout quand on n’a point de tête. À quoi m’exposez-vous ? Il faudra donc que j’humilie ma sœur, à mon tour, avec ses appas révoltés ?

Lisette.

Vous ferez ce qu’il vous plaira ; mais j’ai cru que le plus sûr était d’engager votre sœur à aimer Damis, et peut-être Damis à l’aimer, afin que vous eussiez raison d’être fâchée et de le refuser.

Lucile.

Quoi ! vous ne sentez pas votre impertinence, dans quelque sens que vous la preniez ? Eh ! pourquoi voulez-vous que ma sœur aime Damis ? Pourquoi travailler à l’entêter d’un homme qui ne l’aimera point ? Vous a-t-on demandé cette perfidie-là contre elle ? Est-ce que je suis assez son ennemie pour cela ? Est-ce qu’elle est la mienne ? Est-ce que je lui veux du mal ? Y a-t-il de cruauté pareille au piège que vous lui tendez ? Vous faites le malheur de sa vie, et elle y tombe ; vous êtes donc méchante ? vous avez donc supposé que je l’étais ? Vous me pénétrez d’une vraie douleur pour elle. Je ne sais s’il ne faudra point l’avertir ; car il n’y a point de jeu dans cette affaire-ci. Damis lui-même sera peut-être forcé de l’épouser malgré lui. C’est perdre deux personnes à la fois ; ce sont deux destinées que je rends funestes ; c’est un reproche éternel à me faire, et je suis désolée.

Lisette.

Eh bien ! madame, ne vous alarmez point tant ; allez, consolez-vous ; car je crois que Damis l’aime, et qu’il s’y livre de tout son cœur.