Aller au contenu

Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dait en l’accablant d’injures, et en le sommant de quitter tout de suite le corps de la malade.

Au bout d’une heure de ce fatigant manège il revint tout en sueur auprès de sa patiente, et tel qu’un médecin qui s’informe des effets apéritifs de sa rhubarbe et son séné, il lui demanda si maintenant elle ne se sentait pas mieux.

Pour toute réponse la Perdrix-Blanche changea ses plaintes en cris douloureux qui convainquirent l’assistance que le mal augmentait rapidement.

De plus en plus sérieux le jongleur se pencha sur sa patiente et lui saisit le bras qu’il se mit à lui sucer. Tirant avec sa langue quelques osselets qu’il avait tenus cachés dans sa bouche, il s’écria :

— Prends courage ! ces os qui sortent de ton corps sont un signe que je viens d’en arracher la maladie. Mais pour que tu sois guérie plus vite, et afin de conjurer les effets du vilain rêve que tu as fait, il convient d’envoyer, sur l’heure tes parents et tes amis à la chasse aux élans et aux orignaux pour manger ce soir de ces sortes de viandes dont dépend ta guérison.

C’était tout profit pour les jongleurs que d’ordonner ainsi un festin à tout manger où ils s’en donnaient à gogo.

Ces sortes de repas étaient d’ailleurs tellement dans les usages établis que la Perdrix-Blanche n’avait pas même eu la peine de demander celui que le jongleur s’était empressé d’ordonner.

Griffe-d’Ours était dans le ouigouam de sa sœur. Sa qualité de plus proche parent de la malade lui faisait un devoir de se mettre à la tête du parti de chasse. Aussi eut-il un instant de défiance. Mais sa sœur se plaignait toujours, et il ne pouvait refuser de tout faire en sa puissance pour contribuer à sa guérison. Il sortit donc aussitôt de la cabane en donnant l’ordre aux plus habiles chasseurs de se préparer à le suivre.

Avant d’aller lui-même prendre ses armes, il avisa deux jeunes guerriers, en posta un à l’entrée de la cabane, et lui enjoignit d’en défendre l’entrée à Mornac et à Vilarme et de casser la tête à celui des deux qui voudrait y entrer. Mlle de Richecourt ne devait pas non plus avoir la liberté de sortir du ouigouam avant le retour du chef.

Le second factionnaire eut pour consigne d’épier Vilarme et surtout Mornac et de les empêcher au besoin de sortir du village.

Tous deux ne devaient être relevés de faction qu’au retour du parti de chasse.

Malheureusement pour le chef iroquois ses précautions étaient tardives et inutiles, car Mornac avait pu, tout à loisir, le matin même, se mêler à la foule qui avait envahi le ouigouam de la Perdrix-Blanche, et faire part à sa cousine des instructions du Renard-Noir. Peu lui importait donc ensuite d’être épié, ce dont il s’aperçut bientôt du reste.

Pour ce qui est de Vilarme il fut la seule victime de la méfiance de Griffe-d’Ours ; car le baron, dont la figure sinistre annonçait ce jour-là quelque mauvais dessein, parut fort désappointé d’être menacé d’un coup de tomahawk, lorsqu’il voulut pénétrer dans la cabane qui abritait Mlle de Richecourt.

Il était passé midi, le parti des chasseurs avait depuis longtemps disparu sous les bois dont les feuillages desséchés jonchaient la terre durcie par la gelée.

Le village était paisible, le temps sombre et froid forçant les Iroquois à rester sous les ouigouams, où l’on faisait grand feu, si l’on en jugeait par les gros flocons de fumée blanche qui s’en échappaient en spirales ouatées.

L’on n’entendait seulement que quelques imprécations suivies de coups, qui partaient du ouigouam de la Corneille. Chacun savait que c’était pour elle une habitude de battre régulièrement tous les jours le baron de Vilarme, son mari adoptif, et l’on ne s’en inquiétait pas davantage.

Seul dans la cabane de la bonne et vieille femme qui lui avait une fois sauvé la vie, Mornac s’occupait tranquillement de ses petits préparatifs de départ, sans s’inquiéter aucunement de celui qui, caché dans une cabane voisine, épiait sa sortie et ne pouvait pourtant savoir ce que le Gascon faisait chez soi.

Sur les trois heures de l’après-midi un Iroquois qui sortait de sa cabane aperçut un canot remontant la rivière Manhatte. Il était dirigé par un seul homme et venait du côté du village.

Le Sauvage poussa un cri guttural. Plusieurs autres sortirent aussitôt de leurs ouigouams.

Le premier leur indiqua le canot du doigt. Ils s’élancèrent aussitôt hors de l’enceinte du village.

Arrivés sur le bord de la rivière, ils reconnurent que c’était un homme blanc qui montait l’embarcation.

En quelques minutes celui-ci gagna la rive où se tenait le groupe auquel il adressa la parole en hollandais.

Les Iroquois qui commerçaient avec les habitants de la Nouvelle-Hollande, leurs alliés, lui souhaitèrent la bienvenue.

L’homme débarqua en leur demandant :

— Avez-vous des fourrures et des raquettes ? L’hiver approche et j’ai besoin de ces effets.

— Tu en trouveras au village. Que nous apportes-tu en échange ?

— De la poudre et de l’eau-de-feu.

— De l’eau-de-feu ! Oah ! viens avec nous.

— Aidez-moi à porter ces barils.

On enleva le tout en un tour de main, tandis que l’étranger prenait un long mousquet couché à l’arrière du canot et le jetait négligemment sur son épaule. Tout en suivant les Sauvages il soufflait, pour en raviver la flamme sur une longue mèche allumée qui s’enroulait près de la lumière de son arquebuse.

Arrivé au milieu du village il s’arrêta et fit signe de déposer les barils à terre.

— Allez me chercher des peaux de castor, de renard et de buffle, des raquettes et des souliers de peau de daim, dit-il en s’appuyant d’un air résolu sur le canon de son mousquet.

Mornac attiré par le mouvement de va et vient sortit de son ouigouam et vint se mêler au groupe de Sauvages qui entouraient l’homme blanc.

Joncas et lui se reconnurent aussitôt. Mais