Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/263

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pour voir l’heure ? » questionna la duchesse étonnée. — « Dame ! répondit l’autre, rue des Blancs-Manteaux ! » C’était là, au mont-de-piété, que se trouvaient depuis deux jours les pendules de la pauvre duchesse. Ce détail domestique aurait pu demeurer caché, mais présenté de telle façon, il excita d’abord un peu de confusion puis un accès de gaieté.

Napoléon d’Abrantès avait d’ailleurs un mince respect des préjugés mondains, et nul cependant n’était meilleur que lui. Son cœur sensible, son esprit fin, ses muscles d’acier en faisaient un type rare de notre espèce ; par malheur, toutes ses belles qualités étaient, comme celles de sa mère, gâtées par une prodigalité qu’on ne pouvait enrayer.

Alors qu’un soir je le reconduisais au quartier latin où il habitait, il voulut à toute force m’emmener dîner chez Mandar ; je refusai discrètement : « Voyons, insista-t-il, c’est la fin du mois, profitons-en, » et nous étions au 3. Il faut dire que le duc d’Abrantès avait un majorat de quelques milliers de francs dont il touchait une fraction au commencement de chaque mois et qui était d’ordinaire dévorée en quarante-huit heures, partie en menant grande vie, partie aussi en versant des mensualités à certain juif qu’il nommait avec orgueil son chef usurier, comme d’autres disent mon chef jardinier ou mon chef cuisinier. Il avait d’ailleurs, tel un prince roulant sur l’or, une véritable maison… honoraire, et j’ai rendu visite, en sa compagnie, à son pharmacien en survi-