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pauvre Dietrich, il est probable que je n’aurais pas écrit la Marseillaise ! » Il ajoutait que le champagne, en outre de la fièvre patriotique du moment, l’avait aidé dans la composition de son hymne immortel.

Mon frère Alfred, doué d’un véritable talent musical, le taquinait, mais fort innocemment, en lui chantant, chaque fois qu’il le voyait, le couplet :

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus ;


et en s’accompagnant avec fracas sur le piano. Ce couplet était le seul qui ne fût pas de Rouget de Lisle[1] !

Si la Marseillaise a donné la gloire à son auteur, elle lui a attiré aussi bien des ennuis et bien des déboires : c’est indirectement à cause d’elle qu’il eut avec Bonaparte et Carnot de malheureux démêlés qui ne furent pas à son avantage. Le dernier de ces deux hommes était pour lui un véritable cauchemar, et quand je parlais d’un être méprisable, haineux, faux, égoïste ou indélicat, il ne manquait jamais de soupirer : « Que diriez-vous si vous aviez connu Carnot ! » Cette haine contre l’ancien ministre de 1815 était solidement implantée dans son cœur. Je le reconduisais parfois chez lui passage Saulnier, rue du Battoir ou rue des

  1. On n’est pas d’accord sur l’auteur de ce couplet. Les uns l’attribuent au journaliste Louis Dubois, qui dans une brochure imprimée en 1848, déclare l’avoir composé en octobre 1792 ; les autres le prêtent à l’abbé Peyssoneaux, professeur au collège de Vienne au début de la Révolution.