Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/256

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forme que je traînais dans ma petite sous-préfecture et que je quittai dix ans plus tard, à la suite d’un démêlé avec mon chef direct. Le préfet du Jura était alors M. Thomas, ancien commis du magasin de nouveautés des Deux Magots, ancien facteur à la halle au beurre de Paris et beau-frère du carbonaro Barthe. Le ministre Rémusat disait que sur les quatre-vingt-six préfets de France, le gouvernement de Louis-Philippe n’en avait pas dix occupant convenablement leur poste ; le fait n’a rien d’exagéré, étant donnée la façon dont on les choisissait.

Parti pour Paris afin de parler au comte Duchâtel, ministre de l’intérieur, du différend survenu entre mon préfet et moi, le ministre m’écouta avec bienveillance, et me dit : « Vous ne pouvez pas rester avec ce préfet ; voulez-vous, en attendant mieux, prendre un des meilleurs bureaux de mon ministère ? » J’acceptai avec l’espoir qu’on reconnaîtrait plus tard ma bonne volonté. J’avais l’innocence indéracinable.

Dans ce voyage de Paris, je vis M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, dont je fus loin d’être satisfait. Celui-ci se retrancha derrière son portefeuille, dit que la querelle entre le préfet et moi ne le regardait pas, et qu’il ne pouvait s’immiscer dans une affaire étrangère à son département. Je ne fus pas surpris de ce lâche abandon, car je commençais, un peu tard, par malheur, à connaître les hommes, et surtout nos amis politiques devenus ministres. J’ai besoin de raconter ici ce qui m’était arrivé avec M. Guizot deux ou trois an-