Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/305

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convives. Paul ne prend point de café, mais il remplace ce breuvage aimé par un et même plusieurs verres de brididi, liqueur composée d’eau-de-vie et de curaçao. Notre commandant prend un verre ordinaire, le remplit d’eau-de-vie aux trois quarts et complète le reste du verre avec du curaçao. En voyant ce mélange bizarre, Francis Wey dit à Courvoisier : « Commandant, ce que vous buvez là est donc bien bon ? — C’est excellent, » répondit le cuirassier. « Eh bien, s’écria Wey, je vais faire comme vous. — Prenez garde, ajouta Paul Courvoisier, le brididi est une liqueur traîtresse, et quand on n’y est pas habitué, il peut faire mal. » Hélas ! notre commandant provoquait de la sorte, sans s’en douter, l’amour-propre de Francis, qui voulut prouver à l’instant même qu’il pouvait boire impunément comme un homme de cinq pieds huit pouces. « Les voltigeurs, dit-il à Paul, font campagne tout aussi bien que les cuirassiers. » Voilà donc Wey à la besogne ; mais il n’avait pas vidé le quart de son verre qu’il était gris, complètement gris. Son visage était d’une pâleur mate, une sueur abondante lui découlait du front : tout en discourant, ses bras, ses mains et ses doigts étaient dans une agitation inquiète incessante, presque convulsive ; il soutint longtemps avec une logique des plus bouffonnes que la cravate de Charles Demandre, qui était à petites raies blanches sur un fond bleu, lui avait fait tourner le cœur et avait, seule, causé tout le malaise qu’il éprouvait. La sortie fut pénible. N’ayant pu avoir ce jour-là de cabinet à