Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
la vie aux galères

que la galère se sentit détachée sur le devant, elle commença à tourner, parce qu’elle était assujettie sur le derrière, et aurait, si on lui en avait donné le temps, tourné de la proue à la poupe, car l’endroit d’un bâtiment, qui est attaché, tourne toujours contre le vent. Lorsque Pieter vit que la galère avait assez tourné pour pouvoir prendre son quart de vent dans la voile, il fit tirer l’écoute de la voile. Aussitôt les joncs se cassèrent, et dans un clin d’œil la voile fut tendue et prit son quart de vent. Au même moment il fait couper le câble de l’ancre de derrière et lui-même tenant le gouvernail fit sortir la galère de cette fatale anse, comme un trait d’arbalète.

Nous fûmes donc, par l’habileté de Pieter Bart, sauvés de ce grand et manifeste péril d’être brisés sur l’écueil de cette anse, et nous nous revîmes en pleine mer. Il s’agissait alors de courir dans le premier port pour nous mettre à l’abri de cette furieuse tempête, qui continuait avec plus de force que jamais. Dunkerque était le seul que nous eussions sous le vent. La difficulté d’y aller ne nous inquiétait pas. Nous n’en étions qu’à douze lieues et le vent furieux qui soufflait et qui, étant du sud-ouest, nous était vent arrière, nous y porta en moins de trois heures, sans autre voile qu’un petit perroquet pour pouvoir gouverner. Mais nous étions, du moins nos officiers, dans la plus grande angoisse du monde, par la crainte que la tempête ne nous poussât au point de nous faire passer Dunkerque. Alors il nous aurait fallu courir au nord, et à cause du mauvais temps nous aurions été contraints d’échouer sur les côtes de Hollande. C’était ce que les forçats souhaitaient, mais ce que les officiers et le reste de l’équipage craignaient. Nous courûmes donc à Dunkerque et nous arrivâmes à la rade de ce port. Notre galère avait laissé toutes ses ancres dans l’anse d’Ambleteuse ; mais M. de Fontête, qui nous suivait, nous en donna deux, que nous mouillâmes dans cette rade, où l’ancrage par bonheur est fort bon et tenable. Il nous fallut y rester six heures pour attendre la marée haute, afin de pouvoir entrer dans le port. Pendant ces six heures, nous fûmes