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une condamnation aux galères

les quatre heures, sur une petite montagne à un quart de lieue de Mézières, d’où nous pouvions voir entièrement cette ville et la porte par où nous devions entrer. Nous nous assîmes un moment sur cette montagne pour tenir conseil et, en considérant la porte, nous vîmes qu’un long pont sur la Meuse y aboutissait, et comme il faisait assez beau temps, nombre de bourgeois se promenaient sur ce pont. Nous jugeâmes qu’en nous mêlant avec ces bourgeois, et, nous promenant avec eux sur ce pont, nous pourrions entrer pêle-mêle avec eux dans la ville sans être connus pour étrangers. Nous étant arrêtés à cette entreprise, nous vidâmes nos havre-sacs de quelques chemises que nous y avions, les mettant toutes sur notre corps, et les havre-sacs dans nos poches. Nous décrottâmes ensuite nos souliers, peignâmes nos cheveux, et enfin prîmes toutes les précautions requises pour ne pas paraître voyageurs. Ainsi appropriés, nous descendîmes la montagne et nous nous rendîmes sur le pont, nous y promenant avec les bourgeois jusqu’à ce que le tambour rappelât pour la fermeture des portes. Alors tous les bourgeois s’empressèrent pour rentrer dans la ville, et nous avec eux, la sentinelle ne s’apercevant pas que nous fussions étrangers.

Nous étions ravis de joie d’avoir évité ce grand péril, croyant que c’était là le seul que nous avions à craindre ; mais nous comptions sans notre hôte. Nous ne pouvions sortir sur-le-champ de Mézières, la porte à l’opposite de celle par où nous étions entrés étant fermée. Il nous fallut donc loger dans la ville. Nous entrâmes dans la première auberge qui se présenta. L’hôte n’y était pas ; sa femme nous reçut. Nous ordonnâmes le souper et, pendant que nous étions à table, sur les neuf heures, le maître du logis arrive. Sa femme lui dit qu’elle avait reçu deux jeunes étrangers. Nous entendîmes de notre chambre que son mari lui demanda si nous avions un billet de permission du gouverneur. La femme lui ayant répondu qu’elle ne s’en était pas informée : « Carogne, lui dit-il, veux-tu que nous soyons ruinés de fond en comble ! Tu sais les défenses rigoureuses de loger des étrangers sans permis-