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la vie aux galères

notre délivrance[1]. Nous savions par plus d’une expérience que ces messieurs avaient les mains longues et qu’on les écoutait au point de ne leur rien refuser. L’exprès du missionnaire arriva enfin à Marseille, mais au grand étonnement de ces messieurs, il n’apporta aucune réponse ni bonne ni mauvaise, ce qui fit juger à l’intendant que le roi voulait qu’on exécutât ses ordres. Cependant, les missionnaires, ne perdant pas toute espérance, demandèrent à l’intendant encore huit jours pour attendre un autre exprès qu’ils avaient envoyé après le premier. Cet exprès arriva avec le même silence de la Cour. Comme pendant ce temps-là, nous n’avions pu tenir secret l’ordre qui était venu d’en délivrer 136, les missionnaires qui se flattaient de le faire contremander, venaient nous trouver sur les galères, nous disant à chaque instant que nous étions bien loin de notre compte et que certainement nous ne serions pas délivrés. Après l’arrivée de ce dernier exprès, ils furent confondus et n’en déployèrent pas moins leur malice pour s’opposer à notre délivrance. Ils demandèrent à l’intendant de quelle manière il voulait nous délivrer. L’intendant leur ayant répondu : « Liberté entière pour aller où bon nous semblerait », ils se récrièrent si fort sur cet article et soutinrent si vivement que des hérétiques comme nous, se

  1. Les cartons des Archives de la Marine ne portent aucune trace de cette intervention. La lettre de Rozel du 22 mai n’a pu influer sur un ordre donné le 17 et d’ailleurs formel : « les religionnaires obstinés… ont ordre de sortir du royaume sans remise et à condition de n’y jamais rentrer et sans pouvoir en être dispensés sous aucun prétexte à peine d’être remis en galère pour le reste de leur vie. » Le 24 mai, le secrétaire de la Marine insistait : « À l’égard des 137 religionnaires obstinés dénommés dans le rôle. S. M. veut absolument qu’ils ne soient détachés de la chaîne que pour passer par mer sur-le-champ dans les pays étrangers avec défense de rentrer dans le royaume à peine d’être remis aux galères pour le reste de leur vie… — Il est nécessaire que vous remettiez à chacun d’eux un congé qui explique ces défenses, afin qu’ils n’en puissent ignorer » (B6, 46 ; et B6 106). Ceci ne laisse guère de place aux racontars dont Marteilhe s’est fait l’écho. D’ailleurs, dans les cas de libération, les forçats étaient obligés de quitter Marseille sous vingt-quatre heures, sous peine d’être remis aux galères (dépêche du 2 avril 1704).