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la vie aux galères

on lui déclarera qu’il doit attendre qu’il y ait des navires hollandais dans le port de Marseille pour l’y porter ; celui qui dira en Angleterre, de même, et pour ceux qui diront en Suisse ou à Genève on leur dira de se faire transporter en Italie, mais ils s’attendaient que ces derniers seraient le plus petit nombre. Suivant ce projet que nous ignorions, ç’aurait été, comme on dit, la mer à boire, de pouvoir sortir de leurs griffes. Mais ces méchants missionnaires furent trompés dans leur attente, car, nous ayant fait venir à l’arsenal pour exiger cette déclaration d’un chacun de nous, on nous fit monter sur une galerie, au bout de laquelle était le bureau du commissaire de la marine[1], qui y était avec deux de ces révérends Pères. Cette galerie étant assez étroite, nous étions là à la file, l’un derrière l’autre, attendant ce qu’on voudrait nous annoncer. Or, il se trouva par bonheur que celui des 136, qui était à la tête de la liste, avait ses habitudes à Genève. On l’appela donc, et lui ayant demandé où il voulait aller, il dit : « à Genève. » Celui qui se tenait derrière lui crut qu’il fallait dire tous : À Genève ; et se retournant, il dit à celui qui était près de lui : « Passez la parole, et que tous disent : à Genève » ; ce qui fut fait, car le commissaire en ayant appelé plusieurs et entendant qu’ils répondaient tous : « À Genève, » dit : « Je crois qu’ils veulent aller tous à Genève. — Oui, Monsieur, dîmes-nous tous à la fois, à Genève. » Ce que le commissaire nota et nous annonça que nous n’avions qu’à nous pourvoir de vaisseaux pour nous porter en Italie, car on ne peut, comme tout le monde sait, aller de Marseille à Genève par mer, et ne nous étant pas permis de passer par la France, nous ne pouvions prendre d’autre route que par l’Italie, ce qui est un très grand détour, mais il n’y avait pas d’autre voie.

Nous nous occupâmes donc à chercher quelque vaisseau pour l’Italie. Un jour que nous étions fort intrigués de n’en pouvoir pas trouver, un pilote de la galère La Favorite, nommé patron Jovas, s’adressa à un de nos frères de

  1. Rozel.