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la vie aux galères

sa galère. Ce pilote avait une tartane, espèce de barques qui naviguent dans la mer Méditerranée. Ce patron dit donc à ce frère qu’il entreprendrait volontiers de nous passer de Marseille à Villefranche, qui est un port de mer du comté de Nice, appartenant au duc de Savoie, depuis roi de Sardaigne, par conséquent hors de France, et que de là nous pourrions aller à Genève par le Piémont. Nous goûtâmes cet avis et nous fîmes marché avec ce patron pour le passage de nous 136 à raison de six livres par tête, en nous pourvoyant des vivres qui nous seraient nécessaires. Nous étions ravis d’aise d’avoir trouvé cette occasion et le patron Jovas y trouvait son compte, car c’était un bon fret pour un si court passage. Il fut question d’aller avertir l’intendant que nous avions trouvé passage. Un des nôtres y alla avec le patron. L’intendant en fut content et dit qu’il allait nous faire expédier nos passeports. Nous nous attendions d’être délivrés le lendemain, mais ces malheureux missionnaires y mirent obstacle. Ayant été informés que nous avions fait marché pour Villefranche, ils furent trouver l’intendant et lui représentèrent que cette place était trop proche des frontières de la France, que nous y rentrerions tous et qu’il fallait qu’on nous transportât à Gênes, Livourne ou Oneille. L’intendant voyait bien que c’était un prétexte malin des missionnaires pour nous tourmenter, mais il faut que tout plie à leur volonté, et sans réplique. L’intendant donc nous fit dire que l’accord, que nous avions fait avec le patron Jovas, ne pourrait avoir lieu à cause de la proximité de Villefranche. Nous voilà donc aussi éloignés de notre départ qu’au premier jour. Nous annonçâmes cette fâcheuse nouvelle au patron Jovas, qui ne fulmina pas peu contre ces barbets. C’est ainsi qu’il traitait les missionnaires, qui sont haïs et craints de tout le monde, aussi bien des communes gens que des grands. Cependant le patron Jovas nous consola, car, soit par dépit contre les missionnaires, ou par bonté pour nous, ou qu’il y vît son profit, il nous dit que notre marché avec lui subsisterait et qu’il nous porterait pour le prix convenu, six livres par tête, où les bar-