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la vie aux galères

parole d’honnêtes gens de nous soumettre à ses ordres et de partir quand il voudrait. Il se fia à nous sans le moindre scrupule et nous débarqua. Nous fûmes logés dans quatre ou cinq auberges qu’il y avait proche du port. Le lendemain, qui était un dimanche, nous nous disposions à nous rembarquer, mais notre patron nous dit qu’il avait à parler à quelqu’un de la ville de Nice, qu’il s’y en allait, qu’il y entendrait la messe et qu’il nous viendrait rejoindre à Villefranche pour nous embarquer. Je lui dis que, s’il voulait, j’irais avec lui pour voir la ville de Nice. « Très volontiers, » me dit-il ; et trois autres de nos frères se joignant à nous, nous fûmes tous cinq à cette dernière ville. En y entrant, le patron nous dit qu’il irait entendre la messe et que nous l’attendissions dans le premier cabaret que nous trouverions. Nous nous y accordâmes. Là-dessus nous enfilâmes une grande rue, et comme c’était un dimanche, que toutes les boutiques et les maisons étaient fermées, on ne voyait presque personne. Nous ne laissâmes pas d’apercevoir un petit bonhomme, qui venait à nous. Nous n’y faisions pas d’abord attention, mais lui, s’approchant de nous, nous salua très civilement, et nous pria de ne pas prendre en mauvaise part s’il nous demandait d’où nous venions. Nous lui répondîmes que nous venions de Marseille. Alors il s’émut, n’osant pas d’abord nous demander si nous venions des galères, car c’est faire un grand affront à un homme, à moins que ce ne soit pour cause de religion, de lui dire qu’il a été aux galères. « Mais, je vous prie, Messieurs, continua-t-il, en êtes-vous sortis par ordre du roi ? — Oui, Monsieur, lui répondîmes-nous ; nous venons des galères de France. — Hélas, bon Dieu ! dit-il ; seriez-vous de ceux qu’on y a délivrés il y a quelques jours pour fait de religion ? » Nous lui avouâmes. Cet homme, tout transporté de joie, nous pria de le suivre. Nous le fîmes, sans balancer, de même que notre patron, qui craignait quelque embûche pour nous, car il n’y a pas à se fier aux Italiens. Cet homme, un négociant de Nîmes en Languedoc, nommé Bonijoli, nous mena dans sa maison, qui ressemblait plutôt au palais d’un grand seigneur qu’à celle