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la vie aux galères

sur-le-champ s’ils n’avouaient pas la vérité. Ils l’avouèrent en effet, en demandant mille fois pardon. « Eh bien, messieurs, dit-il, je ne vous veux faire d’autre punition que celle de vous déclarer que, dès ce moment, s’il se perd quoi que ce soit de ce que Bancilhon a en garde, vous en serez responsables tous trois. » Ils voulurent se récrier, disant que sur ce pied-là, Bancilhon pouvait les perdre à tout moment. « Il est honnête homme, leur dit le capitaine, et vous êtes des coquins qui mériteriez que je vous fisse raser et mettre à la chaîne. » Ces messieurs se retirèrent tout confus et ils ne tentèrent jamais depuis de faire pièce à Bancilhon, qui demeura le domestique favori de M. de Langeron. Cette bienveillance rejaillit sur les autres réformés. Le commandant recevait souvent les ordres de la Cour pour faire faire la recherche de l’argent, des livres de dévotion et lettres des réformés des galères. On tirait, à l’heure marquée, un coup de canon de la Grande Réale et aussitôt les bas officiers, qui avaient chacun leur réformé en vue, se jetaient sur eux à l’improviste et leur prenaient tout impunément, non sans coups de corde, car c’est toujours le premier et le dernier appareil. De cette manière, on nous surprenait souvent, mais M. de Langeron avertissait d’avance le frère Bancilhon en lui disant : « Bancilhon, mon ami, le coq a chanté. » Alors nous étions sur nos gardes et en nous fouillant, on ne trouvait jamais rien[1].

On a bien raison de dire, lorsqu’on se trouve dans quelque rude peine : « Je travaille comme un forçat à la rame », car c’est en effet le plus rude exercice qu’on puisse s’imaginer. Qu’on se représente, si on peut, six hommes enchaînés, assis sur leur banc, tenant la rame à la main, un pied sur la pédagne, grosse barre de bois attachée à la banquette ; et de l’autre pied, montant sur le banc de devant eux, et s’allongeant le corps, les bras roides pour pousser et avancer leur rame jusque sous le corps de ceux de devant qui sont occupés à faire le même mouvement ; et

  1. Attendant cette visite, les réformés donnaient leurs effets à garder aux forçats catholiques de leur banc ou à quelque Turc.