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la vie aux galères

force comme le meilleur cuir du monde. Le bon marché fait que quantité de lourdauds s’y attrapent. Si je voulais décrire tous leurs tours de friponnerie, je n’aurais jamais fait. Il y a aussi beaucoup de Turcs dans ces baraques, mais qui n’y travaillent pas ; ils n’y font que négocier. Les uns font les fripiers, les autres vendent du café, de l’eau-de-vie et semblables choses. Mais tous en général sont grands receleurs de toutes sortes de vols et s’ils y sont découverts, ils en sont quittes pour rendre.

Il n’en alla pourtant pas ainsi d’un Turc de la galère où j’étais à Dunkerque. Ce qui lui arriva mérite par sa singularité d’être rapporté. Deux voleurs volèrent un jour dans la grande église de Dunkerque divers ornements, entre autres la boîte d’argent des saintes huiles destinées à l’administration du sacrement de l’extrême-onction. Ils portèrent cette boîte à un Turc de notre galère, nommé Galafas, qui était dans sa baraque et la lui vendirent. Galafas, après l’avoir achetée, demanda à ces voleurs si cela n’était pas robe santa, c’est-à-dire chose sacrée. Les voleurs le lui avouèrent, ce qui intrigua[1] un peu Galafas, qui crut devoir faire changer de forme cette boîte. Pour cet effet, il sort l’huile avec le coton imbibé qui y était, en graisse ses souliers pour mettre tout à profit et avec un marteau aplatit la boîte. Ensuite il fait un trou dans la terre au dedans de sa baraque et y enfouit cette boîte ainsi aplatie. Mais par malheur, l’un de ces voleurs fut pris et convaincu du vol. On lui demanda ce qu’il avait fait de cette boîte aux saintes huiles. Il confessa l’avoir vendue au Turc Galafas. On mène ce voleur à la baraque de Galafas, qui avoua le fait ingénument. On lui demanda où était la boîte. Il montra l’endroit où il l’avait enfouie. On en avertit d’abord le curé de la ville, afin qu’il vînt lui-même lever cette précieuse et sainte relique qu’aucun autre qu’un prêtre n’avait le droit de toucher. Le curé, avec ses prêtres, y accourt en surplis et avec la croix comme à une procession. On fouille dans la terre à l’endroit que le Turc

  1. Préoccupa.