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diculaires à l’axe de la rivière et portant à 1,700 mètres le développement total des ramifications souterraines. Ainsi le cavernement du plateau de Camprieu a près de 2 kilomètres d’extension.

En l’état actuel, la visite complète de ces grottes de part en part, telle que je l’ai effectuée, doit être considérée comme pratiquement impossible[1]. Une simple échelle de 5 à 6 mètres suffit, il est vrai, pour descendre facilement à la salle du Carrefour et gagner ensuite sans peine les abords de la cascade du Bain de Siège par les Fourches ; mais de là il faudrait établir, pour rendre accessible la sortie par l’alcôve de Bramabiau, une passerelle en fer de 400 mètres de longueur, ainsi qu’aux klammen des Alpes. Rien ne serait alors plus extraordinaire ni plus aisé que cette promenade d’outre en outre. La section des Cévennes du Club alpin français a commencé en 1890 les premiers travaux d’aménagement. Avant de les étendre, il faudrait étudier soigneusement le régime des crues du Bonheur, dont le niveau varie constamment dans les galeries ; la hauteur de la passerelle devra être calculée comme elle l’a été pour le Fier. Jamais d’ailleurs, pour ouvrir au public cette nouvelle merveille des Cévennes, on ne dépenserait les 20,000 francs consacrés en 1875 aux gorges de la Diosaz ! Puisse le Dieu des touristes attirer sur Bramabiau l’attention d’un entreprenant Mécène ! Tout en laissant de côté, pour le moment, les considérations géologiques, qui trouveront leur place à la fin de ce volume, il importe de faire remarquer que l’enfouissement du Bonheur s’est produit à une époque relativement récente. En effet, sur la portion du plateau de Camprieu, large d’environ 400 mètres, qui s’étend de l’entrée du tunnel supérieur (sud-est) à la vallée de Saint-Sauveur (nord-ouest), on distingue encore très nettement les rives de deux anciens lits du Bonheur. Le plus oriental de ces deux lits se précipitait jadis dans la vallée par une cascade de 80 mètres de hauteur. Le deuxième lit, situé environ 150 mètres plus à l’ouest, et dont les berges abruptes, hautes de 10 à 25 mètres, sont parfaitement conservées, paraît s’être subdivisé lui-même en deux cascades de 80 à 90 mètres de chute, l’une, au nord, tombant dans la vallée ; l’autre, à l’ouest, s’écroulant dans l’alcôve. Celle-ci présentait en outre la singulière particularité de traverser, en deçà de sa chute et comme le courant actuel, un tunnel naturel de 40 mètres de longueur, qui porte sur le plan cadastral le nom caractéristique de la Beaume ; ce tunnel, semblable à son voisin, à la longueur près, est presque obstrué du côté de l’alcôve par un éboulement ; on peut le franchir aisément, néanmoins, pour jouir du saisissant coup de théâtre présenté immédiatement au bout de la Beaume et au bord d’un précipice de 300 pieds par l’alcôve et la source de Bramabiau. Il est certain que le Bonheur, trouant une première fois sa digue de calcaire, passait sous ce portail grandiose avant de s’écrouler dans le gouffre. Le ruisseau en est donc à son quatrième déversoir, et la conservation parfaite des trois autres démontre que géologiquement l’enfouissement ne remonte pas à un âge très reculé, manière de voir confirmée par l’étroitesse des galeries souterraines, que l’érosion n’a pas encore eu le temps d’élargir en cavernes spacieuses.

  1. En juillet et août 1890, les eaux étant très basses, MM. Marcellin Pellet et Mély ont exécuté sans trop de peine les deuxième et troisième traversées de Bramabiau ; au contraire, le 26 juin 1889, j’avais trouvé les quatre fissures de la grotte de 60 mètres (perte 2 à 5) entièrement remplies par les bras du torrent très gonflé ; toute descente eût été alors impossible. En septembre 1890, neuf membres du Club alpin réussirent aussi à transpercer le plateau par la même voie ; mais, faute de matériel ou d’expérience, plusieurs sont tombés dans la rivière et ont pris un bain complet, sans accident d’ailleurs.