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les cévennes

trop longtemps permis à quelque hobereau insoumis de narguer son suzerain, ou servi d’antre aux routiers ravageurs !

L’énorme source en amont du village rend à elle seule le Tarn navigable pendant huit mois de l’année et marque le point de départ de la navigation en barque. Selon la légende, « là se trouve un four si grand et si vaste qu’avant qu’on en ait fait le tour le pain qu’on y met est déjà cuit, parce qu’il est creusé dans la caverne d’un rocher dont le circuit est de 3 ou 4 lieues[1]. » Il est assez difficile de trouver une relation quelconque entre cette description et la topographie de la localité.

En juillet 1888, nous avons exploré l’intérieur de la fontaine de Castelbouc.

Pour le service d’un gros moulin, la source a été barrée, et cette retenue forme un ravissant laquet de 15 à 20 mètres de diamètre, d’un bleu de turquoise accentué par la profondeur ; sur les deux tiers de son pourtour, ce bassin a pour margelle une falaise verticale ou surplombante, d’où pend en longues lianes un épais entrelacs de verdure ; les rameaux extrêmes des gros arbres fichés dans les lentes et des arbrisseaux grimpeurs trempent et s’agitent dans l’onde claire et bruyante ; car une haute fissure, large de quelques mètres, divise l’escarpement à l’extrémité du petit lac et livre passage à un puissant courant. Si, à l’aide d’un léger bateau, on s’introduit dans cette fente, on la voit bientôt se voûter en caverne au-dessus d’une forte cascade ; ici la vraie source sort de la terre, ou plutôt de la grotte, et son bruit se perçoit du moulin même, d’où cependant, l’on ne voit pas la chute. Celle-ci s’escalade aisément, et, en arrière, le ruisseau souterrain auquel elle sert de déversoir coule torrentueusement dans une large galerie haute de 15 mètres, longue de 60 à 70 ; au bout de cette galerie, un bassin intérieur de 10 mètres de diamètre s’alimente par un orifice que nous trouvâmes entièrement obstrué par le courant. Nous avons renouvelé cette tentative le 11 septembre 1892, à la fin d’un été fort sec. La cascade ne coulait pas, et la source sortait d’une fissure rocheuse en dessous même du moulin. Mais le bassin intérieur était, comme en 1888, clos de toutes parts : c’est le sommet d’un impénétrable siphon.

Il ne suffit pas de traverser Castelbouc en suivant le Tarn : il importe de flâner une demi-heure dans le ravin qui, derrière le roc du château, entaille le causse Méjean jusqu’à son sommet. Plus jolies encore de ce côté se montrent la silhouette des ruines, la découpure de la falaise et la tapisserie de verdure qui s’y étale ; à droite et à gauche, par deux échappées, le regard enfile la galerie du cañon ; en face, le rempart du causse de Sauveterre se profile rouge sur le ciel bleu, à 460 mètres en l’air.

« Rien ne saurait rendre l’effet que produit ce nid de pierre, inondé d’un soleil magique… cet abri perdu où la nature a apporté plus que l’industrie, mais où la main de l’homme n’a eu qu’à se poser naïvement pour ramasser à un point central les lignes heurtées et rigides d’un paysage presque indigent et donner ainsi… l’expression riante de l’art aux traits de la morne aridité[2]. »

Puis, pour regagner la route et la voiture, un sentier charmant suit, pendant 1,500 mètres, la rive gauche de la rivière, sur les grèves de sable ensoleillées ou le long des berges, entre les peupliers, les buis arborescents et les saules : poétique

  1. Mémoires historiques sur le pays de Gévaudan, par le P. Louvreleul. 1 vol. in-8o, sans date, imprimé à Mende vers 1724. — 2e édit, Mende, Ignon, 1824, in-8o, p. 66.
  2. Maystre, les Gorges du Tarn, Écho des Alpes, 1882, no 1.