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les cévennes

puissantes sources bleues et bouillonnantes ; ces sources s’écoulent en bruyants ruisseaux longs de 100 à 500 mètres au plus, mais qui font tourner de nombreux moulins.

On a constaté en de rares endroits la communication directe qui existe entre tel aven du haut plateau et telle source de la gorge inférieure, notamment au site extraordinaire de Bramabiau, près de Meyrueis, et à l’abîme du Mas-Raynal (V. chap. V et XI).

« Froids, tempérés ou chauds, suivant le plus ou le moins de surrection au-dessus du niveau des mers, les Causses varient beaucoup de climat ; ils diffèrent peu de sécheresse et d’aridité, tout comme le Sahara de Transatlas. Ils sont un pays de la soif, surtout depuis que l’homme y a coupé toute forêt. Voici pourquoi : « L’orage aux larges gouttes, la pluie fine, les ruisseaux de neige fondue, les sources joyeuses, ces inestimables dons du ciel, ne sont point pour le causse, qui est fissuré, criblé, cassé, craquelé, qui ne relient pas les eaux. Tout ce que lui confient les fontaines, tout ce que lui verse la nue, entre dans la rocaille, ici par de presque invisibles fissures, là par de larges gouffres ou par des portes de caverne, presque toujours par de petits trous ; mais ces étroites ouvertures plongent sur des antres immenses[1].

« C’est bien loin, c’est bien bas, que l’onde engloutie se décide à reparaître ; elle sort d’une grotte, au fond des gorges, au pied de ces roches droites, symétriques, monumentales, qui portent le terre-plein du causse. Mais ce que le plateau n’a bu qu’en mille gorgées, la bouche de la caverne le rend souvent par un seul flot, les gouttes qui tombent du filtre s’unissant dans l’ombre en ruisseaux, puis en rivières. Aussi les sources du pied du causse sont-elles doublement des fontaines de Vaucluse, par l’abondance des eaux, par la hauteur et la sublimité des rocs de leurs bouts du monde. » (O. Reclus.)

Pour posséder à boire, quand les lavagnes ou lavognes (citernes ou mares rendues étanches au moyen d’une couche d’argile), sont vidées par la sécheresse, les femmes des caussenards font trois ou quatre heures de chemin, descendent le causse, le remontent, leur cruche sur la tête, afin de pourvoir le logis de quelques litres du bienfaisant liquide. Et le voyageur altéré par la marche ne peut pas toujours, même à prix d’argent, trouver dans la ferme isolée le simple verre d’eau qu’il mépriserait dans la vallée. Les bœufs et les vaches aussi se rendent parfois à la rivière, et lorsque, avec délice, ils y sont plongés jusqu’au poitrail, il faut bien des cris, jets de pierres et coups d’aiguillon pour leur faire délaisser l’abreuvoir. Quant aux brebis, la boisson administrée irrégulièrement gâte, dit-on, leur laine ; conséquence pour elles : pas d’eau de tout l’été !

À cause de ce régime souterrain des affluents, les crues des rivières ne peuvent s’annoncer d’amont en aval, ainsi que dans les fleuves normaux des grandes plaines ; elles sont soudaines comme les orages qui les provoquent, et terribles ; de là ce dicton populaire :


Qui passa le Lot, le Tarn et l’Aveiron
N’es pas segur de torna en sa maison !


Il n’y a rien d’exagéré à dire que la région des Causses possède une des sept merveilles naturelles de la France. Dans notre beau pays, en effet, le cirque de

  1. Nos recherches sur les avens de 1889 à 1892 ont prouvé au contraire qu’ils ne communiquaient pas tous avec de grandes cavernes. (V. chap. XXIII, et Annuaires du Club alpin de 1889 à 1892.)