Page:Martha - Le Poème de Lucrèce.djvu/26

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plus grands poëtes de Rome, le plus grand peut- être, à ne considérer que la force native de son génie. Si le temps où il a vécu ne lui permettait pas d’arriver à la perfection d’un art accompli, ni à ces enchantements soutenus du langage qui vous ravis- sent dans Virgile, du moins il n’a point sacrifié aux exigences d’un art timide les libres élans de son âme, ni la hardiesse de sa pensée. Il appartient à ces temps orageux de la république, où, grâce à une liberté sans limites et à la faveur même d’un épouvantable désordre politique et moral, chacun écrivait avec toute sa fougue, sans avoir à se plier à des convenances officielles, où l’on ne songeait pas encore, comme dans la suite, à faire d’une œuvre poétique l’amusement délicat d’une société oisive, ni la parure d’un règne. Quand même on ne serait curieux que de littérature, il y aurait grand intérêt à voir, au moment où la prose latine a ren- contré la perfection avec Salluste, César et Cicéron, comment un grand esprit fait effort pour amener au même point la poésie encore attardée, par quel labeur il dompte un sujet aussi vaste que rebelle, comment enfin la vertu d’une inspiration puissante lui fait porter avec une robuste légèreté le plus lourd fardeau qui ait jamais pesé sur le génie d’un poëte. La langue a encore la saveur rustique d’un fruit dont l’art n’a pas trop tempéré l’âpreté pi- quante, et la poésie de cet âge enferme sous une