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XXI

Ce Martial si méchant, que de fois il a suivi en pleurant le deuil de ses amis ! (Hélas ! tout le monde les a oubliés, excepté lui.) J’ai consolé, autant que des vers partis du cœur peuvent consoler, cette grande dame romaine, Nigerina, qui fit par ses vertus l’oraison funèbre de son mari. Je n’ai pas laissé passer un jour de ma vie sans visiter mon cousin Jules Martial : « Oh ! lui disais-je souvent, cher Martial, que ne « puis-je jouir en paix du reste de mes jours, disposer à mon gré de « mes loisirs, et me servir de la vie en homme sage et libre ! Nous « irions vivre, toi et moi, loin des antichambres, loin des grands, loin « des procès, mais non pas loin de Rome. Les promenades, la conversation, « la lecture, le Champ-de-Mars, le Portique, les eaux limpides, « les thermes, voilà les lieux, les travaux qui nous plairaient ! Mais « hélas ! qui peut vivre pour soi et pour ses amis ? Nos beaux jours « s’enfuient, inutilement prodigués ; jours perdus, et que cependant « le Temps nous compte. »

J’ai bien aimé aussi une jeune femme, Julia, créature plus douce que le dernier chant du cygne, plus tendre que les agneaux du Galèse, plus blanche que les perles de la mer Erythrée. Les femmes qui habitent les bords du Rhin n’ont pas une plus longue chevelure ; elle avait l’haleine suave des roses de Pestum ; de sa peau s’exhalaient les vapeurs du safran qu’une main brûlante a froissé. Elle est morte, et pendant que son mari comptait les deux cent mille sesterces dont il héritait, je m’écriais : « Plus d’amour, plus de joie, plus de fêtes, plus de bonheur pour toi, Martial ! »

Que j’en ai vu mourir ainsi, les plus beaux et les plus belles ! Saloninus, ombre irréprochable ; Claudius, l’affranchi de Mélior, les regrets de Rome entière, enseveli sur la voie Flaminia, esprit vif, pudeur innocente, rare beauté ; le jeune Eutichus, misérablement noyé dans le lac Lucrin, ou plutôt emporté par des Naïades amoureuses.

J’ai adressé un de mes livres à l’un des plus élégants patriciens de la ville, mon ami Rufus Comonius, qui s’en fut chercher en Cappadoce les cendres de son père. Un de mes plus chers familiers était Paullus ; je lui envoyai ces vers aux calendes de décembre : « Cher Paullus, que « ce mois de décembre te soit propice ! puisses-tu être à l’abri des tablettes « à trois feuillets, des serviettes écourtées, de l’encens falsifié, « et autres présents insolents et avares ! Que les trépieds et les coupes « d’or remplissent ta maison ! Puisses-tu gagner aux échecs Publius et « Novius, et ne pas trouver de maître à la joute ! Cependant, si tu en-