Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
XXVII

tier consacré à des vengeances personnelles. Attaqué, il fallait me défendre ; la renommée ne vient pas sans combat. Mais j’ai déjà regret à toutes les peines que je me suis données pour flageller des ennemis inconnus qui ne sont plus. Le huitième livre appartient encore à Domitien. Il fallait bien lui payer, hélas ! par ma honte, cette maison sans eau, sans fruits et sans ombrage que m’avait donnée son avarice. Le livre neuvième est écrit avec un soin bien rare pour un improvisateur comme je suis. Le livre dixième, au contraire, a été dicté avec une précipitation sans exemple, et j’ai été obligé de l’écrire plusieurs fois. Quand parut le onzième livre, il eut d’abord peu de retentissement, car il vit le jour au moment où Rome entière était partagée entre deux coureurs de chars, Scarus et Incitatus. Le livre douzième a été rêvé au milieu des tièdes félicités et du pesant ennui de la province, heureux et malheureux à la fois de ma position présente, étonné et regrettant d’être riche, appelant, mais en vain, les grâces, l’esprit, l’intelligence qui m’entouraient dans mes beaux jours de poésie et de misère. Il y a encore dans mes œuvres plusieurs poésies, bien différentes de ton et d’allure, qui échappent à la critique. En un mot, on pourrait dire de mes vers ce qu’on pourrait dire des vers de tous les poètes qui ont beaucoup écrit : quelques-uns sont de nulle valeur, il y en a un grand nombre de médiocres ; mais aussi quelques-uns sont excellents. Tel est, ami lecteur, ce Martial dont le nom s’est répandu parmi le peuple et chez les nations étrangères grâce à des hendécasyllabes où la malice abonde sans dégénérer que rarement en licence. Si ma gloire te fait envie, hélas ! rappelle-toi que je suis riche, que je suis marié, et que j’habite loin de Rome, dans une ville de province.

Cher Sextus, c’est à loi que j’adresse ce quatrième livre de mes Mémoires, qui sera aussi le dernier. Pendant que tu bats en tous sens le bruyant quartier de Suburre, pendant que, trempé de sueur, sans autre vent pour te rafraîchir que celui de ta robe, tu cours de palais en palais jusqu’au sommet de la montagne où Diane a son temple ; pendant que tu vas et viens, sans prendre haleine, du grand au petit Célius, moi enfin, après tant d’années, j’ai revu ma patrie ; Bilbilis m’a reçu et m’a fait campagnard, Bilbilis, orgueilleuse de son or et de son fer. Ici je cultive sans trop de peine le Botrode et Platée, noms barbares donnés aux champs celtibériens ; je dors d’un admirable sommeil, qui souvent se prolonge au delà de la troisième heure, et je compense avec usure les veilles de trente années. La toge est inconnue ici, mais chaque matin