Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/107

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Beau) ; elle est aimée par un jeune homme sentimental mais bourgeois, que sa beauté sauvage a fasciné. Mais bientôt ils se haïssent passionnément et se quittent, lui pour la vie de famille chaste avec une petite provinciale, et elle, éplorée d’amour, s’enfonce dans la débauche (ou consacre son génie à Dieu, je ne sais pas encore). Voilà mon idée : qu’en pense l’ami ?

« Ah, vois-tu, ne rien faire d’artificiel, suivre sa nature, et quand on se sent né pour créer, se considérer comme ayant en ce monde la plus grave et la plus belle des missions, un grand devoir à accomplir. Oui ! Être sincère ! Être sincère en tout, et toujours ! Ah, comme cette pensée me poursuit cruellement ! Mille fois j’ai cru apercevoir en moi cette fausseté des faux-artistes, des faux-génies, dont parle Maupassant dans Sur l’eau. Mon cœur se soulevait de dégoût. mon très cher, comme je remercie Dieu de t’avoir donné à moi, comme nous aurons besoin éternellement l’un de l’autre pour bien nous connaître nous-mêmes et ne jamais nous faire illusion sur notre véritable génie !

« Je t’adore et te serre la main passionnément, comme ce matin, tu sais ? Et de tout