Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/172

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Thérèse. Il ne pouvait rien toucher avant trois semaines. Il fit le compte de ce qu’il avait en poche, et ne put retenir une grimace ; mais il l’interpréta aussitôt :

— « Tout cela, pour pas grand’chose, aucun marché sérieux n’est conclu. J’ai espéré jusqu’au dernier jour, et je reviens bredouille. Ces gros banquiers lyonnais sont si tristes en affaires, si méfiants ! » Et il se lança dans un récit de son voyage. Il inventait d’abondance, sans le moindre trouble, avec un amusement de conteur.

Daniel l’écoutait : pour la première fois, devant son père, il éprouvait. une sorte de honte. Puis, sans raison, sans aucune apparence de lien, il songea à cet homme dont lui avait parlé la femme de là-bas, son « vieux » disait-elle, un homme marié, un homme dans les affaires, qui venait toujours l’après-midi, expliquait-elle, parce qu’il ne sortait jamais le soir « sans sa vraie femme. » Et le visage de sa mère, qui écoutait, elle aussi, lui parut, à cette minute, indéchiffrable. Leurs regards se croisèrent. Que lut la mère dans les yeux de son fils ? Perçut-elle plus avant parmi des pensées que Daniel ne formulait pas lui-même ? Elle dit,