Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/175

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avait cédé. Elle l’examinait, à la dérobée, dans la glace. Son teint ambré, ses yeux en amande, la cambrure de sa taille, et jusqu’à la recherche un peu exotique de sa mise, donnaient à sa nonchalance quelque chose d’oriental. Elle se souvint qu’au temps des fiançailles elle avait écrit dans son journal : « Mon bien-aimé est beau comme un prince hindoue ». Elle le regardait, et c’était toujours avec les yeux d’autrefois. Il s’était assis de biais sur le siège trop bas, et allongeait les jambes vers le feu. Du bout de ses doigts aux ongles polis, il bourrait l’une après l’autre ses rôties, les dorait de miel, et penchant le buste au-dessus de l’assiette, mordait dans le pain à belles dents. Lorsqu’il eût fini, il but son thé d’un trait, se releva avec une souplesse de danseur, et vint s’allonger dans un fauteuil. L’on eût dit que rien ne s’était passé, qu’il vivait là comme autrefois. Il caressait Puce qui avait sauté sur ses genoux. Son annulaire gauche portait une large sardoine héritée de sa mère, un camée ancien où la silhouette laiteuse d’un Ganymède s’enlevait sur un noir profond ; l’usage avait aminci l’anneau, et la bague, à chaque déplacement de la main,