Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/191

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accent si déchirant qu’Antoine balbutia :

— « Je ne sais pas… Peut-être l’a-t-il un peu… »

Il ne put achever. L’enfant s’était jeté dans le fond de la voiture et se roulait sur les coussins, la tête entre ses bras.

— « C’est ignoble ! L’abbé est un jésuite, un salaud ! Je lui dirai, je lui crierai en pleine étude, je lui cracherai à la figure ! On peut me chasser de l’École, je m’en fous, je me sauverai encore ! Je me tuerai ! »

Il trépignait. Antoine n’osait souffler mot. Tout à coup l’enfant se tut de lui-même, s’enfonça dans le coin, se tamponna les yeux ; ses dents claquaient. Son silence était plus alarmant encore que sa colère. Heureusement le fiacre descendait la rue des Saints-Pères ; ils arrivaient.


Jacques sortit le premier. Antoine, en payant, ne quittait pas son frère de l’œil, craignant qu’il ne prît sa course dans la nuit, au hasard. Mais l’enfant semblait abattu ; sa figure de gamin des rues, balafrée par le voyage et fripée par le chagrin, était sèche, ses yeux baissés.

— « Sonne, veux-tu ? » dit Antoine.