Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jacques ne répondit pas, ne bougea pas. Antoine le fit entrer. Il obéissait docilement. Il ne pensa même pas à la curiosité de la mère Fruhling, la concierge. Il était écrasé par l’évidence de son impuissance. L’ascenseur l’enleva, comme un fétu, pour le jeter sous la férule paternelle : de toutes parts, sans résistance possible, il était prisonnier des mécanismes de la famille, de la société.

Pourtant, lorsqu’il retrouva son palier, lorsqu’il reconnut le lustre allumé dans le vestibule comme les soirs où son père donnait ses dîners d’hommes, il éprouva une douceur, malgré tout, à sentir autour de lui l’enveloppement de ces habitudes anciennes ; et lorsqu’il vit venir, boitillant vers lui du fond de l’antichambre, Mademoiselle, plus menue, plus branlante que jamais, il eût envie de s’élancer, presque sans rancune, dans ces petits bras de laine noire qui s’écartaient pour lui. Elle l’avait saisi et le dévorait de caresses, tandis que sa voix trébuchante, psalmodiait, sur une seule note aiguë :

— « Quel péché ! Le sans-cœur ! Tu voulais donc nous faire mourir de chagrin ? Dieu bon, quel péché ! Tu n’as donc plus de cœur ? » Et ses yeux de lama s’emplissaient d’eau.