Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/166

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pas connue, et qu’elle avait remplacée dès le berceau. C’est entre ses deux bras écartés, qu’un soir, trébuchant sur le tapis du couloir, Jacques avait fait vers elle son premier pas ; et quatorze ans de suite, elle avait tremblé pour lui, comme elle tremblait maintenant pour Gisèle. Tant d’amour, et une incompréhension totale. Cet enfant qu’elle ne quittait presque pas des yeux restait pour elle une énigme. Certains jours elle se désespérait d’élever un monstre, et pleurait en songeant à l’enfance de Mme  Thibault, qui était douce comme un Jésus. Elle ne se demandait pas de qui Jacques pouvait tenir sa violence, et n’accusait que le Diable. Mais, à d’autres jours, un de ces gestes inattendus, subits, excessifs, où s’épanouissait soudain le cœur de l’enfant, l’attendrissait, et la faisait pleurer encore, mais de joie. Elle n’avait jamais pu s’habituer à son absence. Elle n’avait rien compris à son départ ; mais elle voulait que son retour fût une fête, et que cette nouvelle chambre contint tout ce qu’il aimait. Antoine avait dû s’opposer à ce qu’elle encombrât d’avance les placards de tous les jouets d’autrefois. Elle avait fait descendre, de sa chambre à