Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courtoisie un peu cérémonieuse. « Depuis un an, pense donc ! » Et comme Jacques se taisait : « Oh, rien encore », reprit-il en se penchant. « Mais j’ai bon espoir. »

Jacques fut gêné par l’insistance du coup d’œil, par le timbre de la voix. Il s’apercevait enfin que Daniel n’était pas tout à fait comme avant, mais il n’eût su dire en quoi. Ses traits étaient restés les mêmes ; peut-être l’ovale du visage s’était-il allongé ; mais la bouche avait toujours la même circonflexion compliquée, mieux accusée encore par le liseré de la moustache ; et il avait conservé la même façon de sourire d’un seul côté, qui dérangeait brusquement l’ordonnance des lignes et découvrait les dents du haut, à gauche ; peut-être ses yeux brillaient-ils d’un éclat moins pur ; peut-être ses sourcils obéissaient-ils davantage à cette tension vers les tempes, qui donnait au regard une douceur glissante ; et peut-être aussi laissait-il percer dans sa voix, dans ses manières, une sorte de désinvolture qu’il ne se fût pas permise jadis ?

Jacques examinait Daniel sans songer à lui répondre ; et, à cause peut-être de cette nonchalance impertinente qui l’agaçait et