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REMARQVES SVR L’ORTHOGRAPHE FRANÇOISE

dans l’orthographe française[1], on trouve le passage qui suit :


Nous prononçons l’s de quatre diuerses manieres. Tantost nous l’aspirons, comme en ces mots : peste, chaste ; tantost elle allonge la syllabe comme en ceux-cy, paste, teste ; tantost elle ne fait aucun son, comme à esbloüir, esbranler, il estoit ; et tantost elle se prononce comme vn z, comme à presider, presumer. Nous n’avons que deux differens caracteres ſ et s, pour ces quatre differentes prononciations ; il faut donc establir quelques maximes generales pour faire les distinctions entieres. Cette lettre se rencontre au commencement des mots, ou au milieu, ou à la fin. Au commencement elle aspire toûjours : soy, sien, sauuer, suborner ; à la fin, elle n’a presque point de son, et ne fait qu’allonger tant soit peu la syllabe ; quand le mot qui suit se commence par vne consone, et quand il commence par une voyelle, elle se détache de celuy qu’elle finit pour se joindre avec elle, et se prononce toûjours comme vn z, soit qu’elle soit précedée par vne consone ou par vne voyelle.

Dans le milieu du mot, elle est, ou entre deux voyelles, ou apres vne consone, ou auant vne consone. Entre deux voyelles elle passe tousiours pour z, et apres vne consone elle aspire tousjours, et cette difference se remarque entre les verbes composez qui viennent de la mesme racine. On prononce prezumer, rezister, mais on ne prononce pas conzumer ny perzister. Ces règles n’ont aucune exception, et j’ay abandonné en ces rencontres le choix des caracteres à l’imprimeur, pour se seruir du grand ou du petit selon qu’ils se sont le mieux accommodez auec les lettres qui les joignent. Mais je n’en ay pas fait de mesme quand l’s est auant vne consone dans le milieu du mot, et je n’ay pû souffrir que ces trois mots : reste, tempeste, vous estes, fussent escrits l’vn comme l’autre, ayant des prononciations si differentes. J’ay reserué la petite s pour celle où la syllabe est aspirée, la grande pour celle où elle est simplement allongée, et l’ay supprimée entierement au troisième mot ou elle ne fait point de son, la marquant seulement par un accent sur la lettre qui la precede. J’ay donc fait ortographer ainsi les mots suiuants et leurs semblables : peste, funeste, chaste, resiste, espoir, tempeſte, haſte, teſte ; vous étes, il étoit, ébloüir, écouter, épargner, arréter. Ce dernier verbe ne laisse pas d’auoir quelques temps dans sa conjugaison où il faut luy rendre l’s, parce qu’elle allonge la syllabe ; comme à l’imperatif arreſte, qui rime bien avec teſte ; mais il l’infinitif et quelques autres où elle ne fait pas cet effet, il est bon de la supprimer et escrire j’arrétois, j’ay arrété, j’arréteray, nous arrétons, etc.


  1. Voyez tome I, p. 4–12 de mon édition des Œuvres de Corneille, dans Les Grands Écrivains de la France.