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Page:Marx - La Lutte des classes en France - Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, 1900.djvu/217

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le xviii brumaire de louis bonaparte
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frappa comme d’un coup de tonnerre par un ciel serein. Les peuples qui, aux époques pusillanimes, cherchent volontiers à dissimuler leur crainte secrète par l’éclat de leurs cris ont, peut-être, pu se convaincre que les temps étaient passés, où le caquetage des oies pouvait sauver le Capitole.

La Constitution, l’Assemblée nationale, les partis dynastiques, les républicains rouges et bleus, les héros d’Afrique, le tonnerre de la tribune, les éclairs de chaleur des journaux, les noms politiques et les renoms intellectuels, la loi bourgeoise, le droit criminel, liberté, égalité, fraternité et le 2 mai 1852, tout a disparu comme une fantasmagorie devant la formule d’excommunication d’un homme que ses ennemis mêmes ne tiennent pas pour sorcier. Le suffrage universel semble n’avoir survécu un peu que pour faire sous les yeux du monde son testament olographe et pour proclamer au nom du peuple lui-même : tout ce qui existe mérite de périr.

Il ne suffit pas de dire, comme le font les Français, que leur nation a été surprise. On ne pardonne pas à une nation plus qu’à une femme le moment de faiblesse qui permet au premier aventurier venu de la violer. Le problème ne se trouve pas résolu par de semblables détours, il n’est que formulé autrement. Il resterait à expliquer comment une nation de 36 millions d’habitants peut se laisser surprendre par trois chevaliers d’industrie et sans résistance, se laisser réduire par eux en servitude.