Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/173

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d’enfants qui ne faisaient absolument rien ; et c’est là ce qu’on appelle fréquenter l’école, et ce sont de tels enfants qui figurent comme éduqués (educated) dans la statistique officielle[1]. » En Écosse, les fabricants cherchent à se passer le plus possible des enfants qui sont obligés de fréquenter l’école. « Cela suffit pour démontrer la grande aversion que leur inspirent les articles de la loi à ce sujet[2]. » Tout cela devient d’un grotesque effroyable dans les imprimeries sur coton, laine, etc., qui sont réglées par une loi spéciale. D’après les arrêtés de la loi, chaque enfant avant d’entrer dans une fabrique de ce genre doit avoir fréquenté l’école au moins trente jours et pas moins de cent cinquante heures pendant les six mois qui précèdent le premier jour de son emploi. Une fois au travail, il doit également fréquenter l’école trente jours et cent cinquante heures dans le courant d’un des deux semestres de l’année.

Son séjour à l’école doit avoir lieu entre 8 heures du matin et 6 heures du soir. Aucune leçon de moins de 2 heures 1/2 ou de plus de 5 heures dans le même jour ne doit être comptée comme faisant partie des 150 heures. « Dans les circonstances ordinaires les enfants vont à l’école avant et après midi pendant 30 jours, 5 heures par jour, et après ces 30 jours quand la somme des 150 heures est atteinte, quand, pour parler leur propre langue, ils ont fini leur livre, ils retournent à la fabrique où ils restent 6 mois jusqu’à l’échéance d’un nouveau terme, et alors ils retournent à l’école jusqu’à ce que leur livre soit de nouveau fini, et ainsi de suite… Beaucoup de garçons qui ont fréquenté l’école pendant les 150 heures prescrites ne sont pas plus avancés au bout des 6 mois de leur séjour dans la fabrique qu’auparavant ; ils ont naturellement oublié tout ce qu’ils avaient appris. Dans d’autres imprimeries sur coton, la fréquentation de l’école dépend absolument des exigences du travail dans la fabrique. Le nombre d’heures de rigueur y est acquitté dans chaque période de 6 mois par des acomptes de 3 à 4 heures à la fois disséminées sur tout le semestre. L’enfant par exemple se rend à l’école un jour de 8 à 11 heures du matin, un autre jour de 1 à 4 heures de l’après-midi, puis il s’en absente pendant toute une série de jours pour y revenir ensuite de 3 à 6 heures de l’après-midi pendant 3 ou 4 jours de suite ou pendant une semaine. Il disparaît de nouveau trois semaines ou un mois, puis revient pour quelques heures, dans certains jours de chômage, quand par hasard ceux qui l’emploient n’ont pas besoin de lui. L’enfant est ainsi ballotté (buffeted) de l’école à la fabrique et de la fabrique à l’école, jusqu’à ce que la somme des 150 heures soit acquittée[3]. »

Par l’annexion au personnel de travail combiné d’une masse prépondérante d’enfants et de femmes, la machine réussit enfin à briser la résistance que le travailleur mâle opposait encore dans la manufacture au despotisme du capital[4].

B. Prolongation de la journée de travail.

Si la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises, elle devient comme support du capital, dans les branches d’industrie dont elle s’empare d’abord, le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle. Elle crée et des conditions nouvelles qui permettent au capital de lâcher bride à cette tendance constante qui le caractérise, et des motifs nouveaux qui intensifient sa soif du travail d’autrui.

Et tout d’abord le mouvement et l’activité du moyen de travail devenu machine se dressent indépendants devant le travailleur. Le moyen de travail est dès lors un perpetuum mobile industriel qui produirait indéfiniment, s’il ne rencontrait une barrière naturelle dans ses auxiliaires humains, dans la faiblesse de leur corps et la force de leur volonté. L’automate, en sa qualité de capital, est fait homme dans la personne du capitaliste. Une passion l’anime : il veut tendre l’élasticité humaine et broyer toutes ses résistances[5].

La facilité apparente du travail à la machine et l’élément plus maniable et plus docile des femmes et des enfants l’aident dans cette œuvre d’asservissement[6].

  1. Leonhard Horner dans « Reports, etc., for 31 st. October 1856, p. 17. ».
  2. Id. l. c. p. 66.
  3. A. Redgrave dans « Reports of Insp. of Fact. for 10 th. June 1857, p. 41, 42 ». Dans les branches de l’industrie anglaise où règne depuis assez longtemps la loi des fabriques proprement dite (qu’il ne faut pas confondre avec le Print Work’s Act), les obstacles que rencontraient les articles sur l’instruction ont été surmontés dans une certaine mesure. Quant aux industries non soumises à la loi, la manière de voir qui y prédomine est celle exprimée par le fabricant verrier J. Geddes devant le commissaire d’enquête M. White : « Autant que je puis en juger, le supplément d’instruction accordé à une partie de la classe ouvrière dans ces dernières années est un mal. Il est surtout dangereux, en ce qu’il la rend trop indépendante. » Children’s Empl. Commission. IV Report. London. 1865, p. 253.
  4. « M. E… fabricant m’a fait savoir qu’il emploie exclusivement des femmes à ses métiers mécaniques ; il donne la préférence aux femmes mariées ; surtout à celles qui ont une famille nombreuse ; elles sont plus attentives et plus disciplinables que les femmes non mariées, et de plus sont forcées de travailler jusqu’à extinction pour se procurer les moyens de subsistance nécessaires. C’est ainsi que les vertus qui caractérisent le mieux la femme tournent à son préjudice. Ce qu’il y a de tendresse et de moralité dans sa nature devient l’instrument de son esclavage et de sa misère. » Ten Hours’Factory Bill. The speech of Lord Ashley. Lond. 1844 ; p. 20.
  5. « Depuis l’introduction en grand de machines coûteuses, on a voulu arracher par force à la nature humaine beaucoup plus qu’elle ne pouvait donner. » (Robert Owen : Observations on the effects of the manufacturing system. 2me éd. Lond. 1817.)
  6. Les Anglais qui aiment à confondre la raison d’être d’un fait social avec les circonstances historiques dans lesquelles il s’est présenté originairement, se figurent souvent qu’il ne faut pas chercher la cause des longues heures de travail des fabriques ailleurs que dans l’énorme vol d’enfants, commis dès l’origine du système mécanique par le capital à la façon d’Hérode sur les maisons de pauvres et d’orphelins, vol par lequel il s’est incorporé un matériel humain dépourvu de toute volonté. Évidemment, dit par exemple Fielden, un fabricant anglais, « les longues heures de travail ont pour origine cette circonstance que le nombre d’enfants fournis par les différentes parties du pays a été si considérable, que les maîtres se sentant indépendants, ont une bonne fois établi la coutume au moyen du misérable matériel qu’ils s’étaient procuré par cette voie, et ont pu ensuite l’imposer à leurs voisins avec la plus grande facilite. » (J. Fielden : « The Curse of the Factory system.  » Lond. 1836). Pour ce qui est du travail des femmes, l’inspecteur des fabri-