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MES SOUVENIRS
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La dame. — La musique n’est-elle pas la consolation des âmes en détresse ?…

Le monsieur (insinuant). — Ne trouvez-vous pas l’amour plus fort que les sons pour effacer les peines du cœur ?

La dame. — Hier, je me sentais consolée, j’écrivais la musique du Vase brisé.

Le monsieur (poétique). — Un nocturne, sans doute...

Quelques rires étouffés s’entendirent. La conversation changea aussitôt de cours.

Le dîner avait pris fin ; l’on s’était retiré dans un salon pour y faire un peu de musique ; j’allais habilement m’éclipser, lorsque deux dames, vêtues de noir, l’une jeune, l’autre plus âgée, furent introduites.

Le maître de céans s’empressa d’aller les saluer, et, presque au même instant, je leur fus présenté.

La plus jeune était extraordinairement jolie ; l’autre était sa mère, en beauté aussi, de cette beauté absolument américaine, telle que souvent nous en envoie la République étoilée.

« Cher maître, me dit la jeune femme, avec un accent légèrement accusé, on m’a priée de venir en cette maison amie, ce soir, pour avoir l’honneur de vous y voir et vous faire entendre ma voix. Fille d’un juge suprême, en Amérique, j’ai perdu mon père. Il nous a laissé, à mes sœurs et à moi, ainsi qu’à ma mère, une belle fortune, mais je veux aller (ainsi s’exprima-t-elle) au théâtre. Si, ayant réussi, l’on m’en blâmait, je répondrais que le succès excuse tout ! »

Sans autre préambule, j’accédai à ce désir et me mis aussitôt au piano.