Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
MES SOUVENIRS

fis-je, c’est assez ! » J’étais, en effet, tombé sur une pièce de théâtre...

Faut-il donc, pensais-je, que le théâtre me poursuive ainsi ? Moi qui voulais ne plus en faire ! J’avais donc rejeté l’importun. Tout en cheminant, question plutôt de tuer le temps, comme on dit, je le repris et me mis à parcourir ce fameux rouleau, quelque désir contraire, cependant, que j’en eusse.

Mon attention, superficielle et distraite d’abord, se précisa peu à peu, — je pris insensiblement intérêt à cette lecture, tant et si bien que je finis par ressentir une véritable surprise, — ce devint même, l’avouerai-je, de la stupéfaction !

— Quoi ! m’écriai-je, une pièce sans rôle de femme, sinon une apparition muette de la Vierge !

Si je fus surpris, si je restai comme stupéfait, quels sentiments étonnés auraient-ils éprouvés, ceux que j’avais habitués à me voir mettre à la scène Manon, Sapho, Thaïs et autres aimables dames ? C’est vrai ; mais ils auraient oublié, alors, que la plus sublime des femmes, la Vierge, devait me soutenir dans mon travail, comme elle se serait montrée charitable au jongleur repentant !

À peine eus-je parcouru les premières scènes que je me sentis devant l’œuvre d’un véritable poète, familiarisé avec l’archaïsme de la littérature du moyen âge. Aucun nom d’auteur ne figurait sur le manuscrit.

M’étant adressé à mon concierge pour connaître l’origine de ce mystérieux envoi, il me fit savoir que l’auteur lui avait laissé son nom et son adresse, en lui recommandant expressément de ne me les dévoiler que si j’avais accepté d’écrire la musique de l’ouvrage.