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ŒUVRES POSTHUMES.

passion malsaine. Il continuait à lire les poètes, les prosateurs, les historiens, à les interpréter, à les pénétrer, à les commenter, avec une persévérance qui touchait à la manie.

Un jour, l’idée lui vint de forcer tous les élèves de son étude à ne lui répondre qu’en latin ; et il persista dans cette résolution, jusqu’au moment où ils furent capables de soutenir avec lui une conversation entière, comme ils l’eussent fait dans leur langue maternelle.

Il les écoutait ainsi qu’un chef d’orchestre écoute répéter ses musiciens, et à tout moment frappant son pupitre de sa règle :

— Monsieur Lefrère, monsieur Lefrère, vous faites un solécisme ! Vous ne vous rappelez donc pas la règle ?…

— Monsieur Plantel, votre tournure de phrase est toute française et nullement latine. Il faut comprendre le génie d’une langue. Tenez, écoutez-moi…

Or, il arriva que les élèves de l’institution Robineau emportèrent, en fin d’année, tous les prix de thème, version et discours latins.

L’an suivant, le patron, un petit homme rusé comme un singe, dont il avait d’ailleurs le physique grimaçant et grotesque, fit imprimer sur ses programmes, sur ses réclames et peindre sur la porte de son institution :

« Spécialité d’études latines. — Cinq premiers prix remportés dans les cinq classes du Lycée.

« Deux prix d’honneur au Concours général avec tous les lycées et collèges de France. »

Pendant dix ans l’institution Robineau triompha de la même façon. Or, mon père, alléché par ces succès, me mit comme externe chez ce Robineau que nous appelions Robinetto ou Robinettino, et me fit prendre des répétitions spéciales avec le père Piquedent,