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ŒUVRES POSTHUMES.

aise, mais d’un rire énervé, malade, un de ces rires qui tournent en attaques de nerfs ; puis, un peu calmée, elle reprit :

— Ah ! ah ! mon cher, inconvenants ?… c’est-à-dire qu’ils osent tout… tout de suite tout… tu entends… et bien d’autres choses encore…

Je me sentis révolté comme si elle venait de me révéler une chose monstrueuse.

— Et vous permettez ça, vous autres ?…

— Non… nous ne permettons pas… nous giflons… mais ça nous amuse tout de même… Ils sont bien plus amusants que vous, ceux-là ! Et puis avec eux on a toujours peur, on n’est jamais tranquille… et c’est délicieux d’avoir peur… peur de ça surtout. Il faut les surveiller tout le temps… c’est comme si on se battait en duel… On regarde dans leurs yeux où sont leurs pensées, et où vont leurs mains. Ce sont des goujats, si tu veux, mais ils nous aiment bien mieux que vous !…

Une sensation singulière et imprévue m’envahissait. Bien que garçon, et résolu à rester garçon, je me sentis tout à coup l’âme d’un mari devant cette impudente confidence. Je me sentis l’ami, l’allié, le frère de tous ces hommes confiants et qui sont, sinon volés, du moins fraudés par tous ces écumeurs de corsages.

C’est encore à cette bizarre émotion que j’obéis en ce moment, en vous écrivant, monsieur, et en vous priant de jeter pour moi un cri d’alarme vers la grande armée des époux tranquilles.

Cependant des doutes me restaient, cette femme était ivre et devait mentir.

Je repris :

— Comment est-ce que vous ne racontez jamais ces aventures-là à personne, vous autres ?

Elle me regarda avec une pitié profonde et si sin-