Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/206

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Que fit-elle ? Ce que toute femme jolie et jeune eût essayé ; elle redevint tendre, avec des subtilités de coquetterie si souples qu’il y fut pris comme à un amour nouveau. Elle retrouva, pour le mari que son cœur poussait vers un grand devoir, des séductions inattendues d’épouse, qui s’attache et se donne comme une maîtresse éprise.

Jamais elle n’avait été cela pour lui, jamais il n’avait senti venir d’elle cette séduction troublante, ce charme si captivant des baisers qui font tout oublier et consentir à tout. Et il découvrait soudain cet abandon passionné dans sa femme avec un étonnement ravi. Conquis, il céda d’abord à toutes les tendresses, à toutes les caresses, à toutes les adresses d’amour dont elle l’enlaçait et l’enchaînait.

Mais, quand la déroute des armées françaises devint irréparable, quand les grands désastres furent connus, quand la ruine du pays fut imminente, son cœur de gentilhomme patriote battit plus fort que son cœur d’amant. Fils d’anciens seigneurs normands, héritier de leur bravoure et de leur aventureuse audace, il sentit, il comprit qu’il devait donner l’exemple du courage autour de lui, et il s’en alla brusquement un matin, avec des larmes dans les yeux et du désespoir dans l’âme. Pendant plusieurs semaines elle reçut des lettres de son mari, et elle apprit qu’il avait pu rejoindre l’armée du général Chanzy qui luttait encore. Puis toute nouvelle cessa. Puis elle tomba malade, et voilà qu’un jour, ce qui à tout autre instant lui aurait été un si grand bonheur lui fut révélé par le docteur Paturel appelé en consultation. Elle allait devenir mère.

Oh ! quels mois terribles elle passa, cinq mois d’angoisses épouvantables pendant lesquels elle ne reçut rien de lui !